mercredi 12 novembre 2008

Un bijou trouvé sur internet: Si vous aimez le cinéma différent

Quelqu'un saurait qui a écrit ce beau texte???

D’un Cinéma l’Autre – D’un Marcel à un autre Marcel.


Paris et le cinéma, au début des années 1990, lorsque l’on était âgé de 20 ans c’était quoi ?
J’arrivais de Province pour passer l’examen d’entrée en « Licence de cinéma » à l’université Panthéon Sorbonne.

Le bar le plus proche du bâtiment mauresque de Paris I – fréquenté donc à priori par les étudiants, comme dans les fictions, « La Closerie des Lilas ».

Certes, on avait le droit de s’asseoir aux table où figurait une petite plaque métallique au nom d’un écrivain célèbre, mort, mais les 20 francs demandés par café, l’œil méprisant des serveurs en livrée, prêts à nous dénoncer à quelques centres de rétention administrative pour délit de « pauvreté étudiante » étaient sans appel : ce lieu exploitait son histoire, n’appartenait plus qu’à l’histoire. Il n’y avait plus que les cartes de crédits des « golden boys et girls de la Culture » alors en vogue, et fréquentant ce lieu régulièrement, pour y croire.

Ma culture cinématographique, débuté à l’âge de 8 ans, n’a compté jusqu’à l’âge de 18 ans que 3 « incunables » (3 films américains des années 50 visionnés en cachette au cinéma de minuit).
Et la séquence du spectateur.
Interdiction parentale de regarder la télévision oblige.

Simultanément, une nouvelle revue est arrivée jusqu’à nos villages de Province profonde: Première ; les couvertures en forme de portraits: Catherine Deneuve, Jean Rochefort, Isabelle Adjani, Sophie Marceau, Isabelle Huppert ; notre assiduité à cette revue mensuelle qui accompagnait la fréquentation autorisée des salles de cinéma de nos villages, approvisionnés en cohérence avec nos lectures, suivies de discussions post-séances dans le bar-pmu-discothèque de notre bled, mais où l’on pouvait tenir des heures – et boire un café à chaque heure à moins de 5 francs pièce - sur le dernier film de Zulawski, cinéaste qui nous intriguait le plus à cette époque.

Nous n’avions pas d’autres références. Et alors ?

J’avais réussis à ne pas me faire éjecter par deux obstacles de taille pour « entrer en cinéma », à Paris lorsque l’on n’était ni héritiere, ni « fille de » : une chambre en location – les prix en cinq ans avaient bondit de 500 à 1500 francs ; un job de 20 heures pour « vendre » des crédits à la consommation à un taux de 20% pour me nourrir.
Restait l’examen d’entrée en Licence : 15% de réussite.
Et le néo-réalisme italien, le western américain, je n’y connaissais rien !
Qu’à cela ne tienne

-François Truffaut est un menteur ! Il pille littéralement, mot pour mot, une page entière de « La tête vide » de Raymond Guérin, édité en 1952, que déclame l’un des personnages de Truffaut, en voix off, et ne le cite pas au générique !
-
(Le professeur titulaire âgé, que je ne nommerai pas) :

-Quoi ?! Mais qui êtes-vous pour proférer de telles affirmations ?! De quel film s’agit-il ? De quelle séquence au plan près ? Je vous assure que l’on ne touche pas à Truffaut comme ça ! Mais vous vous prenez pour qui ! Sortez d’ici ! Fichez-moi le camp !

-La Femme d’à côté. Dernière séquence. C’est la voix de la propriétaire du club de tennis où Fanny Ardant et Gérard Depardieu se retrouvent, une dernière fois.

Silence et sifflements du vent d’automne dans l’antique bâtiment.

-Si vous m’apportez la preuve dans deux jours de ce que vous affirmez, je vous inscris…

Chouette, il va m’inscrire en Licence !

-Je vous inscris…vous avez un diplôme d’IEP de Province, c’est ça ?
-Oui ?
-Directement en DEA !

Fin du 1er acte.

Deux années, j’ai couru, de Neuilly/Seine pour fourguer mes crédits à 20% à des plus pauvres que moi, au bâtiment mauresque pour suivre des cours, et aussi passage de la Boule Blanche pour effectuer des recherches sur un livre qu’écrivait l’un des rédacteurs d’alors des Cahiers.
Et rien.
Pas une rencontre digne de ce nom.
De la froideur.
Du « chacun à sa place ».
Comme à La Closerie des Lilas.

Avantages : ayant épluché dans la sublime bibliothèque au sommet du Palais de Chaillot, avec une vue sur tout Paris, toutes les archives de 1945 à 1960 sur le mouvement de ce qui a été « nommée » la cinéphilie, les ciné-clubs, les revues installées, les nouvelles qui tentaient de se faire une place, éphémères, puis avec succès, Les Cahiers et Positif, leur guerre, j’ai eu, spontanément, un rejet total de toute nostalgie à propos de cette époque, la nouvelle vague et cie.
C’était l’histoire.
J’avais rattrapé mon retard en terme de films, et vu à peu près tout ce que proposaient les salles de Paris, inédits et reprises.
Le présent et l’avenir, et surtout les gens à rencontrer en partageant un minimum et en riant aussi, étaient ailleurs.
Mais où ?

Des salles fermaient.
Et sans comprendre pourquoi, j’en étais malade.
Il y avait un truc, dont je ne comprenais absolument pas le sens, et qui était parfois inscrit à l’entrée des salles des quartiers centraux de Paris, c’était « Art et Essai ».
Et lorsque je consultais les films inédits qui y étaient programmés, je voyais « Wim Wenders, Woody Allen… »
Je ne comprenais pas où était « l’art » et encore moins « l’essai » dans ces films.

Il y avait aussi d’autres films, inédits. Et en début de projection de ceux que j’aimais le plus, il y avait un nom, bizarre : Diaphana.
C’est quoi ça Diaphana ?

Sensible aux salles qui fermaient et à une chose mystérieuse nommée « Diaphana ».

« Le cinéma » faisait son chemin en moi, empruntant une dominante« la diffusion », même si je ne le savais pas encore.

J’étais toujours aussi seule.


Et puis comment, pourquoi, je ne sais plus très bien, je me suis retrouvée Rue des Ursulines.

Il y avait déjà la salle de cinéma de cette rue, que je fréquentais souvent, et lors du changement de direction, de plus en plus souvent.

D’ailleurs, je n’allais plus voir « un film ». J’allais voir « la programmation » du Studio des Ursulines.

Et en face, vivaient Marcel Hanoun et sa compagne, Maria Landau.

Deux ans après mon arrivée à Paris, à quelques encablures de la Closerie des Lilas, j’étais invitée à venir discuter, dans le salon ouvert de Maria, avec Marcel, d’autres gens que connaissait Marcel, des gens que connaissait Maria aussi.

Et c’est sans doute là que tout a commencé.

A Paris, au début des années 90, pour des étudiants de 20 ans, ni héritiers, ni fils ou filles de, le cinéma se passait « Chez Marcel » ou plutôt « Chez Maria » où vivait Marcel.

Nous y étions accueillis, souvent nourris, et logés lorsque les derniers rataient leur train de banlieue.

Il y eut le choc du visionnement de « Octobre à Madrid ».
Et d’autres films, de d’autres cinéastes. Et les rencontres.
Ce beau mec, super jeune, muet, au regard glacial, assis sur l’un des fauteuils du salon.
Le beau mec super jeune ne disait mot.
C’était Marc Recha.
Nous sommes devenus amis.
Marcel parlait aussi d’un autre cinéaste, de Barcelone, qui s’appelait José Luis Guerin.
Et aussi de Jonas Mekas, qui lui écrivait, lui rendait visite.
Marcel évoquait, invitait aussi dans le salon de Maria, Noël Burch, Dominique Noguez, des artistes de Bosnie en exil, des prêtres cinéastes, des écrivains polonais…

Un jour, un autre jeune homme était assis dans le salon avant mon arrivée.
Jean-Marc Manach.
Il avait fondé une revue, L’Armateur. Il était étudiant à Paris 8, en cinéma.

Et Jean-Marc Manach m’embarque. Chez Marcel. Non pas Marcel Hanoun, mais Marcel Mazé, cofondateur du collectif Jeune Cinéma, dans le mouvement des coopératives pour les films dont j’avais entendu parler grâce au premier Marcel (Hanoun).

A la fin de 1994, nous étions dix, tout au plus. 8 garçons – beaucoup de Paris 8 – et 2 filles – l’autre fille, c’était Elizabeth , qui avait rencontré l’un des garçons de Paris 8, dans un club de théâtre de Paris 3, et comme elle aimait le cinéma…

Ensuite, j’ai emmené Elizabeth chez Marcel (Hanoun) et ensemble, nous nous sommes occupés de ses films.

Donc nous voilà chez Marcel (Mazé), dans son salon, avec vue imprenable sur la sortie des « artistes » de l’Olympia.

Et avec « D’un Cinéma L’autre » nous allions faire, nous aussi, un festival de cinéma différent.

Nous avons dû passer tout l’automne 1994 et l’hiver 1995, bien au chaud dans le salon de Marcel (Mazé) avec quelques expéditions dans le salon de Marcel (Hanoun). Certain d’entre nous – nous n’évoquions jamais les situations individuelles, pudeur oblige, le cinéma seul, et l’envie de nous amuser aussi, nous réunissaient – vivaient dans des entresols en sous-location et sans chauffage.

Cet hiver là, nous avons beaucoup crié et beaucoup ri, mais surtout crié.
Fallait-il employer le terme « incunable » pour les films réalisés il y a un certain temps ?
Le terme « narratif différent » était-il adapté aux films encore figuratifs ?

Et entre toutes ces discussions et ces cris, on buvait des bières, du vin. On mâtait Ophélie Winter qui sortait par la porte des artistes de l’Olympia. On visionnait des films que Marcel (Mazé) avait en stock, avec un projecteur 16 mm, sur le mur blanc du salon.

Lorsque le dernier métro était passé, on rentrait parfois avec une dame, dont la voiture personnelle était conduite par une autre dame. Il s’agissait de Madame Samson François.
Le trajet n’était pas direct. Madame Samson François déposait elle-même les lettres qu’elle avait écrites au domicile de ses destinataires. Mais il y avait du chauffage dans la voiture, et la conversation ne manquait pas de piquant.

Le ministère de la Culture, par la Drac Ile de France, nous a ouvert sa porte. Nous l’avons passé à 5. Courageuse Fabienne Bernard de nous avoir à chacun trouvé une chaise dans son petit bureau. Elle nous a aidé pour que nous soit accordé une subvention de 50 000 francs dédiés à notre futur festival de « cinéma autre ».

Dans la nuit, nos CV ont dû tous prendre une ligne « projet de festival soutenu par le Ministère de la Culture » tant nous n’en revenions pas. Notre dossier devait comprendre 100 pages pour que chaque sensibilité en cinéma des membres alors nommés « fondateurs » soit présente et respectées.

Mais il fallait attendre, et encore attendre.

Un soir, je crois que j’ai pris la parole. On avait passé l’automne et l’hiver à réfléchir, à concevoir, à écrire. Pourquoi attendre ? Et pourquoi juste « un festival ». Pourquoi pas des projections, régulières, tous les mois. Nous avions le principal : les films, dit « différents » et un principe de sélection et de programmation : celle ou celui le plus proche de tel genre de cinéma s’occupait de la sélection et du choix des films.

Qui a trouvé le lieu Confluences dirigé par Jean Diard ?
Je ne me souviens plus.
Et nous nous sommes lancés, une nuit de printemps 1995, pour 12 heures de projection d’affilée.

Tous sur le pont : à l’entrée, au bar, en arrière-cuisine pour confectionner les sandwichs, en cabine –pas mal les souvenirs de cabine des projections mensuelles de D’Un cinéma l’Autre, projectionniste bénévole qui avait un peu trop fumé pour faire tourner un projo 35 mm, film super 8 qui crame, auteur réalisateur de film super 8 dont nous n’avions pas calé synchro, l’image, et le son, en K7 audio et qui montait nous voir, furibard, etc, etc…

Cela a duré 2 ans, peut-être 3.

Quinze années après, à Paris, en Province, les lieux et occasions de voir des films « différents », des installations, des performances, des films expérimentaux, sont peut-être nombreuses, mais au milieu des années 90, nous n’étions qu’une poignée à donner une visibilité à ces œuvres qui selon nous appartenaient aussi au cinéma.

Avec une régulation de pro, nous avons été présents, tous les mois, à Confluence, plus de deux années consécutives.

J’ai quitté D’un Cinéma l’Autre, à l’aube de la première édition du festival, à l’origine de toutes ces rencontres.
Je l’ai quitté, la mort dans l’âme, pour aller gagner ma vie, en Alsace.

Ma dernière action fût de contribuer à trouver un lieu, à Paris, pour le festival.
J’étais désespérée à la lecture des devis proposés par les lieux dit « Art et Essai ».
Comme pour les étudiants de 20 ans, ni « héritiers », ni « fils ou fille de », lutter contre la spéculation financière pour installer un festival de cinéma différent en plein Paris relevait de l’exploit.
Grâce au cinéma « La Clef », à leur accueil, aux prix accessibles pratiqués, nous avons évité de justesse « l’expulsion ».

Inventer des choses en cinéma au cœur de Paris était donc possible.

Que soit ici chaleureusement salués toutes ces rencontres fondatrices de la suite de mon propre parcours, les fondateurs et amis de D’un Cinéma l’Autre, du Collectif Jeune Cinéma, Jean-Marc, Marcel et Marcel, Jean, Laurent, Mathieu, Neil, Francis, Elizabeth, Olivier, Alexandre, Claude , Georges, Christine, Roger, et tous les autres.

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